Les cercles de parole

[Sophie]

Partage sur une expérience / cérémonie que j'ai eu l'occasion de pratiquer plusieurs fois, je le mets en chamanisme mais c'est pas captif du chamanisme (qui du reste n'est pas un dogme ni une religion de toute manière).

Un cercle de parole est comme son nom l'indique un cercle... où l'on parle
Plus exactement où chacun exprime ce qui est en lui à ce moment-là, par rapport à un sujet donné, une intention précise, ou dans ce qui est simplement à ce moment-là, de la manière la plus authentique possible.
On peut faire des cercles de parole avec ou sans feu au centre, le feu aide à la concentration et l'authenticité mais ce n'est pas obligatoire (y'a pas grand chose d'obligatoire dans les pratiques chamaniques, il y a l'intention et ce qui a du sens pour les participants).

Un cercle de parole est différent d'une simple "causerie" parce qu'il est canalisé par un bâton de parole, symbole de la circulation de la parole dans le cercle, du respect et de l'écoute silencieuse vis à vis de celui qui a le bâton de parole à un moment donné, et de l'attention portée à ce que l'on exprime.

Ca parait tout bête à dire comme ça, mais tenir un bâton de parole dans sa main donne une autre dimension à la parole, et aussi au silence.

Celui qui a le bâton de parole peut aussi rester silencieux, si c'est cela qui est authentique à ce moment-là.
En cela un cercle de parole est une occasion extraordinaire de pouvoir expérimenter notamment le fait de se taire, et d'être entendu Etre entendu jusque dans ses silences. Sans que personne n'utilise ce silence pour parler, en considérant le silence comme une non expression.

C'est simple et pas si évident que ça, les premières fois que l'on participe à un cercle de parole.
Le mental qui s'agite dans la recherche de ce qu'on aurait envie de répondre à la personne qui s'exprime, ça fait traquer et apparaître toutes les pensées qui nous tournicotent dans la tête de manière incessante quand on écoute quelqu'un, les jugements, les opinions, les échos à notre propre vécu, et ça les fait d'autant plus apparaître que l'on est silencieux, qu'il n'y a aucun exutoire à ces pensées, et donc on doit y faire face, en soi.

Un cercle de parole confronte aussi à notre propre usage de la parole, au fait que l'on a souvent beaucoup de choses à dire, mais que quand on a un bâton de parole dans la main, on sait parfois plus quoi dire, parce que dans tout ce qu'on avait à dire qu'est-ce qui est suffisamment important pour avoir sa place dans ce cercle sacré où tous autour font attention et écoutent ce que l'on va dire ?
Il ne s'agit pas d'un truc mental genre "ce que j'ai à dire est beau ou pas beau, important ou pas important dans l'absolu", quoi que l'on puisse aussi avoir à bosser ce genre de rapport à notre parole du coup, il s'agit parfois de réaliser que dire simplement "j'ai peur", deux tout petits mots, est bien plus essentiel que de déballer un fatras de trucs qu'on sait, ou qu'on pense.

Je crois que les cercles de paroles sont parmi les cérémonies les plus simples et les plus belles que j'aie eu l'occasion de vivre.
Il s'y passe en profondeur beaucoup de choses, dans le lien à soi-même, le lien à l'autre, aux autres, au groupe, à notre individualité et celle des autres.

C'est très simple à mettre en place, un bâton de parole n'est pas non plus nécessairement un objet rituel sacré, quand on faisait des cercles de paroles assis dans l'herbe, un brin d'herbe était notre bâton de parole, ça marche pareil, c'est une question d'intention.

J'encourage vraiment à essayer ce type de pratique, qui fait un bien fou, et qui de manière très simple permet d'entrer en contact avec soi, en présence d'autres, et peut permettre notamment de pacifier beaucoup des relations, des échanges. En entrant dans la dimension de l'authenticité et du coeur.

Quand on s'exprime dans un cercle de parole, on est naturellement beaucoup plus dans une expression à la première personne, le "tu" se meurt tout seul, parce que l'on sort des mécanismes de communication en réaction à l'autre, parce que dans ce type de contexte ils n'ont aucun sens.

Ah oui et puis le truc tout bête qui apporte beaucoup, quand on a fini de parler, on le dit, en général dans les traditions chamaniques on dit "Ho" ou un truc qui y ressemble
Ca veut dire beaucoup de choses ça, et le moment de dire ça est tellement simple et profond en même temps.
Assumer que l'on a dit ce que l'on avait à dire, et l'acter dans un mot de fin, qui signifie aussi que maintenant on donne la parole à quelqu'un d'autre, on se retire du devant de la scène, on se met en posture d'écoute.
Proposer la parole à qui la demande à ce moment-là (ou bien la passer à côté de soi selon les conventions du cercle décidées par les participants).
Tout ça est simplissime, et peut faire émerger des choses vraiment essentielles en soi.

Est-ce qu'on arrive à s'arrêter de parler ? comment on le vit ? est-ce que l'on a des regrets ? est-ce qu'on a réussi à s'exprimer authentiquement ou est-ce qu'on a retenu des choses que l'on regrette de ne pas avoir dites ? est-ce que l'on passe la parole trop vite ou est-ce que l'on a vraiment été entendre en soi si tout était dit en acceptant d'offrir aux autres personnes notre silence, notre propre écoute intérieure, nos propres "tatonnements", en acceptant de montrer aussi ce qui en nous ne trouve pas les mots tout de suite ? etc etc...

Voilà..... en espérant que cela vous donne envie de tenter l'expérience

[Greenman]

Excellent !

Je connais cette pratique, on fait ça dans les retraites en ashram. Un grand cercle, mais pas de bâton et de ho à la fin. La responsable de l'ashram fait partie du cercle et sert parfois, rarement, de bâton, très discrètement, doucement, presque imperceptiblement, et sans intervenir sur ce qu'on dit bien sûr. Et chacun garde le silence sur le temps de parole de l'autre. La fin du temps de parole de quelqu'un se marque très légèrement, par un silence absolu de 5 minutes à peu près, puis n'importe qui d'autre prend la parole spontanément, et on ne l'interrompt pas non plus.... Et ainsi de suite...
C'est léger, détendu, paisible, épanouissant, je recommande aussi !
On en sort comme après une bonne méditation, je trouve, ou comme après une pratique artistique.
à vivre absolument.

On ne fait pas de feu à cette occasion, je penserai à proposer ça. Surtout que le feu, on le fait déjà parfois, pour danser autour à la nuit tombée, en chantant, sous le regard des étoiles et sous l'oeil bienveillant de l'astre lunaire....

[Sophie]

[Greenman]

Ah oui, je suis toujours d'accord avec cet argument : !!

[Sophie]

Voui ben c'était pour dire chouette partage
Puis je me doutais bien que ce genre de pratique était loin d'être uniquement chamanique, je suis contente que tu m'en donnes concrètement la confirmation...

[Greenman]

Oui, je crois que c'est repris dans pas mal d'endroits, la communauté de l'Arche fait ça aussi, il me semble... Et aussi dans les retraites spirituelles organisées par les revues Terre du ciel, nouvelles clefs, etc...
et ça doit bien exister ailleurs aussi, tant ça parait essentiel...

[ananie]

Très intéressant merci.

J'aime bien ce passage notamment (mais tout le reste aussi) :

C'est simple et pas si évident que ça, les premières fois que l'on participe à un cercle de parole.
Le mental qui s'agite dans la recherche de ce qu'on aurait envie de répondre à la personne qui s'exprime, ça fait traquer et apparaître toutes les pensées qui nous tournicotent dans la tête de manière incessante quand on écoute quelqu'un, les jugements, les opinions, les échos à notre propre vécu, et ça les fait d'autant plus apparaître que l'on est silencieux, qu'il n'y a aucun exutoire à ces pensées, et donc on doit y faire face, en soi.

Chez les amérindiens il y a un genre de pratique qui dérive de cela pour prendre des décisions.

Quand la tribu devait prendre une décision, tous les membres s'enfermaient dans une tente, et faisait un cercle de parole.
La décision n'était pas prise tant que ce n'était pas à l'unanimité.
Et personne ne sortait de la tente tant qu'il n'y avait pas unanimité.

ça pousse à se remettre en question et à adopter une vision d'ensemble

[Sophie]

Ca m'évoque aussi quelque chose que je trouve très important, et sur quoi les amérindiens s'appuient certainement pour faire ce genre de choses, c'est que en toute situation, quelles que soient les dissenssions apparentes, les querelles ou les désaccords, etc... il existe une manière d'agir qui soit juste pour tout le monde.
Ce qu'il faut c'est prendre le temps de la trouver. Et ça peut prendre du temps

On est tellement habitués nous à raisonner en terme de majorité (donc opposition), que l'on ne pense souvent plus du tout que toute situation contient une issue qui soit Juste, avec un grand J, parce qu'elle l'est pour tous.

Cette issue ne sera pas forcément ce que chacun voulait au départ, parce qu'au départ il peut y avoir orgueil, ego, tirer la couvertures à soi, réactions personnelles etc, mais justement, la parole bien canalisée permet de nettoyer tout ça et d'en arriver aux aspirations et expressions authentiques et justes de chacun, et donc à une issue / solution / décision qui convienne à tous, réellement.
C'est à dire que chacun puisse accepter en paix à l'intérieur de soi.

Je crois que c'est important parce que c'est apaisant et rassurant en profondeur, le fait que par exemple dans une situation de conflit ou d'opposition, on peut ne pas réussir à trouver cette solution juste pour tous, mais ça veut pas dire qu'elle existait pas.
La trouver suppose déjà de la chercher, d'en avoir l'intention ferme et partagée, et aussi d'être patient, persévérant, et confiant.
C'est pas facile du tout je pense, mais pour moi ça fait partie des principes de base notamment dans les relations, déjà entre deux personnes, quand quelque chose ne va pas, et qu'il y a un sentiment d'urgence, j'essaye de me calmer et de chercher le chemin de : ce qui sera juste pour moi et aussi pour l'autre.
Et parfois ça pousse vraiment plus loin que l'état de la situation présente. Donc ça fait avancer beaucoup intérieurement.

[ananie]

On est tellement habitués nous à raisonner en terme de majorité (donc opposition), que l'on ne pense souvent plus du tout que toute situation contient une issue qui soit Juste, avec un grand J, parce qu'elle l'est pour tous.

Cette issue ne sera pas forcément ce que chacun voulait au départ, parce qu'au départ il peut y avoir orgueil, ego, tirer la couvertures à soi, réactions personnelles etc, mais justement, la parole bien canalisée permet de nettoyer tout ça et d'en arriver aux aspirations et expressions authentiques et justes de chacun, et donc à une issue / solution / décision qui convienne à tous, réellement.
C'est à dire que chacun puisse accepter en paix à l'intérieur de soi.

Je pense qu'il y a aussi 2 prérequis pour que cela soit possible en pratique :

- Tout d'abord que chacun veuille trouver une solution qui convienne à tous. Car si tous ne sont pas d'accord pour trouver cette solution commune, il n'y aura probablement pas d'issue. C'est pour ça aussi probablement que les amérindiens s'enfermaient jusqu'à trouver la solution : pour que tout le monde soit motivé pour la trouver et se remettre en question si nécessaire.

- Et ensuite, c'est jouable à petite échelle, mais à grande échelle (celle d'un pays par exemple), je ne sais pas si cela est réalisable.

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