La corde d'argent (conte Zen)
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La corde d'argent (conte Zen)
Rappel du premier message :
Un clair matin, Bouddha se promenait dans les cieux, au bord du lac de la Fleur du lotus, et il rêvait sous la tiède caresse du soleil. Comme il se penchait sur l'eau du lac, il aperçut dans les profondeurs bouillonnantes de Naraka (l'enfer) un homme qui se débattait furieusement et semblait appeler à l'aide. Aussitôt, Bouddha le reconnut. C'était un homme du nom de Kantuka, un voleur, un débauché, un abominable assassin qu'il avait rencontré pendant son passage terrestre. Bouddha est l'infinie compassion. Il se souvint qu'une fois dans sa vie ce Kantuka avait manifesté un peu de bonté. Une grosse araignée s'était posée sur sa sandale; au lieu de l'écraser, il l'avait épargnée et passé son chemin.
"Je vais lui porter secours, songea Bouddha, pour ce geste de compassion. Qui sait, il reste peut-être une lueur de générosité chez ce malheureux." Il prit alors un fil d'araignée, le fit descendre dans le lac en direction de Kantuka. Le fil se transforma en corde d'argent, et le bandit l'agrippa solidement. Il commença à monter. L'ascension était rude. Kantuka y employait toutes ses forces. Il s'acharnait des mains, des genoux, des pieds, suant et soufflant. Bientôt, il aperçut un coin de ciel bleu au-dessus de sa tête. Il redoublait d'efforts, quand il jeta un coup d'oeil vers les bas-fonds. Horreur! Une dizaine de ses anciens compagnons saisissaient la corde d'argent et s’efforçaient de grimper à leur tour.
"Cette corde risque de ne pas être assez solide pour nous soutenir tous", se dit Kantuka. Il se souvint alors qu'il avait gardé dans une poche secrète son couteau d'assassin. "Je vais trancher cette corde, songea-t-il, et me débarrasser d'eux." A peine avait-il formulé sa pensée que la corde d'argent se rompit au-dessus de lui, et il retomba pour toujours dans les Enfers.
Un clair matin, Bouddha se promenait dans les cieux, au bord du lac de la Fleur du lotus, et il rêvait sous la tiède caresse du soleil. Comme il se penchait sur l'eau du lac, il aperçut dans les profondeurs bouillonnantes de Naraka (l'enfer) un homme qui se débattait furieusement et semblait appeler à l'aide. Aussitôt, Bouddha le reconnut. C'était un homme du nom de Kantuka, un voleur, un débauché, un abominable assassin qu'il avait rencontré pendant son passage terrestre. Bouddha est l'infinie compassion. Il se souvint qu'une fois dans sa vie ce Kantuka avait manifesté un peu de bonté. Une grosse araignée s'était posée sur sa sandale; au lieu de l'écraser, il l'avait épargnée et passé son chemin.
"Je vais lui porter secours, songea Bouddha, pour ce geste de compassion. Qui sait, il reste peut-être une lueur de générosité chez ce malheureux." Il prit alors un fil d'araignée, le fit descendre dans le lac en direction de Kantuka. Le fil se transforma en corde d'argent, et le bandit l'agrippa solidement. Il commença à monter. L'ascension était rude. Kantuka y employait toutes ses forces. Il s'acharnait des mains, des genoux, des pieds, suant et soufflant. Bientôt, il aperçut un coin de ciel bleu au-dessus de sa tête. Il redoublait d'efforts, quand il jeta un coup d'oeil vers les bas-fonds. Horreur! Une dizaine de ses anciens compagnons saisissaient la corde d'argent et s’efforçaient de grimper à leur tour.
"Cette corde risque de ne pas être assez solide pour nous soutenir tous", se dit Kantuka. Il se souvint alors qu'il avait gardé dans une poche secrète son couteau d'assassin. "Je vais trancher cette corde, songea-t-il, et me débarrasser d'eux." A peine avait-il formulé sa pensée que la corde d'argent se rompit au-dessus de lui, et il retomba pour toujours dans les Enfers.
Dagda- Messages : 249
Date d'inscription : 16/11/2011
Age : 41
Localisation : Bretagne
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Oui Okasan, tu es tout à fait claire...
Je pense qu'en fait il y a plusieurs niveaux de ce que l'on appelle Dieu (ou la Conscience fondamentale), ou dans ce contexte "Le Bouddha". Et en ce sens le niveau de Dieu qui laisse le libre arbitre aux hommes ne peut pas en même temps laisser le libre arbitre et savoir ce que les hommes vont en faire.
Et sans doute ce niveau de dieu (Bouddha) qui est évoqué dans cette histoire représente la compassion qui vient "se tendre" vers les hommes, et certainement n'a-t-il pas la conscience de ce qui va en résulter.
Je pense que tout ceci nous parle d'un certain mécanisme naturel qui est ici imagé.
Donc, à mon avis, le voleur avait le libre arbitre...
Mais bon, tout ceci n'est que sujet de réflexion... et je ne suis pas sûr d'être suffisamment clair...
à tous...
Je pense qu'en fait il y a plusieurs niveaux de ce que l'on appelle Dieu (ou la Conscience fondamentale), ou dans ce contexte "Le Bouddha". Et en ce sens le niveau de Dieu qui laisse le libre arbitre aux hommes ne peut pas en même temps laisser le libre arbitre et savoir ce que les hommes vont en faire.
Et sans doute ce niveau de dieu (Bouddha) qui est évoqué dans cette histoire représente la compassion qui vient "se tendre" vers les hommes, et certainement n'a-t-il pas la conscience de ce qui va en résulter.
Je pense que tout ceci nous parle d'un certain mécanisme naturel qui est ici imagé.
Donc, à mon avis, le voleur avait le libre arbitre...
est me semble-t-il un enseignement tiré d'une école de zen. Et qui s'adresse sûrement à des disciples avancés sur la voie. Car ce qui est "le Bouddha", dans ma compréhension en tous cas, c'est ce qui est en soi la conscience d'éveil. Donc forcément si "on voit le Bouddha", c'est qu'il y a une dualité en soi qui est appelée à être dépassée... D'où la citation, (je pense) "Si tu vois le bouddha, tue le!"Le_Chat a écrit:"Si tu vois le bouddha, tue le!"
Mais bon, tout ceci n'est que sujet de réflexion... et je ne suis pas sûr d'être suffisamment clair...
à tous...
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Jean-Yves a écrit:est me semble-t-il un enseignement tiré d'une école de zen. Et qui s'adresse sûrement à des disciples avancés sur la voie. Car ce qui est "le Bouddha", dans ma compréhension en tous cas, c'est ce qui est en soi la conscience d'éveil. Donc forcément si "on voit le Bouddha", c'est qu'il y a une dualité en soi qui est appelée à être dépassée... D'où la citation, (je pense) "Si tu vois le bouddha, tue le!"Le_Chat a écrit:"Si tu vois le bouddha, tue le!"
à tous...
Le_Chat- Messages : 347
Date d'inscription : 05/06/2012
Age : 35
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Très intéressant ton point de vue Jean Yves sur ce conte Merci
Alors ce bon vieux Lin Tsi est apparemment un bien beau spécimen de serial-killer Il est clair que cette stance à pour but de choquer. En plus en Chine à l'époque, recommander de s'en prendre à ses parents c'est plutôt couillu comme conseil
En fait il recommande de rejeter la notion même de sacré, car cette notion nous plonge le nez dans la dualité. (comme toute notion d'ailleurs) En s'en prenant à ce qui est considéré comme ce qu'il y a de plus précieux, il cherche à suffisamment ébranler les esprits pour faire réaliser que tout ce que nous idolâtrons nous limite. Même (et surtout) ce qui est soi-disant le plus important. Seule est digne de considération la liberté parfaite de l'être éveillé, liberté qui se situe bien au-dessus de la dignité ou de la considération...
Okasan je ne sais pas pour le karma, c'est un sujet sur lequel je me suis peu penché... Faut dire que dans le Zen le karma... C'est pas qu'on s'en fout mais... Chaque instant est considéré comme occasion d'éveil ou risque d'illusion. Du coup le karma est considéré comme une donnée parmi tant d'autre, l'éveil se situant bien au-delà de l'effet du karma. Enfin c'est une interprétation tout à fait personnelle hein!
Le_Chat elle est bien sympa ton histoire, et c'est vrai que les choses fonctionnent exactement comme ça à un certain niveau. Et nous, bêtement, on réagit de cette façon là le plus souvent... Ca m'as rappelé une autre histoire, sans aucun lien autre que le lien improbable qui a pu se produire dans ma tête, que je vais vous mettre. Je l'aime bien mais vous n'aurez pas d'avis de ma part sur ce conte parce que j'ai énormément de mal à saisir toutes les subtilités qu'il me semble présenter... Mais je sent bien qu'il y a un enseignement très précieux derrière ces mots... (c'est toujours de Riton Brunel!)
L'honorable monsieur Han, mandarin de haut rang, jouissait en sa campagne d'un retraite aimable. Il ne détestait pas la société, et recevait souvent M. Siu, un voisin, de commerce agréable. Ce jour-là, ils devisaient tout deux sous les frais ombrages, prenant le thé, mangeant quelques gâteaux de riz, quand le bruit d'une altercation leur parvint des cuisines. M. Han s'informa. Un moine mendiant voulait être reçu par le maître de maison en personne!
"Il insiste avec impudence... expliqua l'intendant.
- Laissez-le venir!" fit M. Han.
Le moine Zen, vêtu d'une robe usagée et trouée, ne payait pas de mine. M. Han l'interrogea avec bonté...
"Je suis arrivé récemment dans votre petite bourgade, dit le misérable clerc. Je me suis installé dans le temple en ruine, à l'est de la ville. On m'a instruit de votre générosité, et me voici!"
Tout en parlant, le moine loqueteux se servait largement de la nourriture étalée sur la table. Il appréciait les gâteaux de riz, autant les salés que les sucrés. il picorait à son aise dans les bols de porcelaine, croquant ici des graines de potirons, là de tournesol. Il ne dédaignait pas les brioches de viande, il en engloutit trois, parfumées aux grains de sésame et de lotus. Entre deux bouchées, il grappillait des amandes et des fruits secs, et pour faire glisser le tout, il buvait force tasses de thé. Une vingtaine, comptabilisa M. Siu, que l'effronterie du personnage scandalisait.
Le moine pris ainsi le pli de venir régulièrement dans la maison de M. Han. Il arrivait habituellement à l'heure de la collation. Il s'invitait à table, se servait copieusement et buvait à satiété. M. Han le regardait opérer avec un sourire indulgent. M. Siu le supportait de plus en plus mal. Un après-midi, alors que le moine avalait sa douzième tasse de thé et mordait sans vergogne dans un succulent gâteau de riz, M. Siu l'interpella avec un brin d'ironie:
"Saint homme, mon ami M. Han et moi-même sommes flattés de votre constance à partager nos humbles repas, peut-être accepterez-vous de nous recevoir à votre tour?"
Le moine répondit avec calme:
"Venez quand vous le voudrez, mais vous le savez, j'habite des ruines, et j'aurai bien du mal à vous offrir autre chose que des tasses d'eau claire!"
Et il s'esclaffa.
Quand ils arrivèrent devant les anciennes ruines du temple, où le moine avait établi sa demeure, M. Han et M. Siu furent ébahis. On avait réalisé d'importants travaux. Le bâtiment central était entièrement restauré. Ils pénétrèrent dans une salle magnifique, où une immense table couverte d'une nappe brodée les attendait. Des mets à profusion s'étalaient sous leurs yeux émerveillés. Ils prirent place sur des lits. Seize jeunes et beaux garçons, vêtus de robes d'apparat, chaussés de sandales rouges, les servaient avec diligence, attentifs à leurs moindres désirs. On leur offrit, dans des plats de cristal et de jade, des fruits inconnus et délicieux. Leur hôte lui-même, vêtu de brocart et d'or, leur versait, dans des coupes larges d'un pied, un vin parfumé digne des immortels.
Soudain, le moine frappa dans ses mains:
"Que l'on fasse venir les soeurs Cheh!" s'écria-t-il.
Un serviteur s'empressa, et revint bientôt accompagné de deux jeunes filles ravissantes; leurs tailles souples pliaient comme des saules. La plus grande jouait de la flûte, la plus jeune chantait d'une voix délicate et cristalline. Ensuite, elles se mirent à danser. Leurs longues robes flottaient sur le sol, un nuage de parfum enivrant les enveloppait. M. Han et M. Siu sentirent "leur coeur s'élargir et leur âme s'envoler". A ce moment, le moine invita la plus jeune danseuse à le rejoindre sur sa couche, tandis que la plus grande, penchée sur eux, les éventait doucement. M. Han et M. Siu, légèrement ivres, étourdis par le vin merveilleux qu'ils avaient bu, regardaient ce spectacle avec stupeur. Le premier, M. Siu réagit:
"Ce moine est décidément un personnage impudent, éhonté!"
Et il se leva en titubant, mais quand il s'approcha, le moine avait disparu:
"M. Han! appela-t-il, venez! ces jeunes filles sont prêtes..."
Et M. Siu s'allongea avec la plus jeune sur la couche que le moine venait de quitter. M. Han à son tour prit dans ses bras la plus grande, dont la taille pliait comme un saule, et s'étendit à côté d'elle. Alors le ciel s'éclaira. Le songe d'ivresse se dissipa. M. Han et M. Siu serraient entre leurs bras de froides dalles de pierre. Ils étaient couchés au milieu de ruines, de bâtiments abandonnés, et de chambres démolies.
Ainsi a-t-il été rapporté.
Oui tout à fait! Cette injonction est celle de Lin Tsi, maître Ch'an donc Zen, à l'origine de la branche Rinzai. Un maître avec apparemment une personnalité détonante! Iconoclaste, anticonformiste, considéré à l'époque comme hérétique par certains... Ce que tu dis me semble juste aussi Jean Yves. La stance complète est la suivante:Jean-Yves a écrit:Le_Chat a écrit:"Si tu vois le bouddha, tue le!"
est me semble-t-il un enseignement tiré d'une école de zen. Et qui s'adresse sûrement à des disciples avancés sur la voie. Car ce qui est "le Bouddha", dans ma compréhension en tous cas, c'est ce qui est en soi la conscience d'éveil. Donc forcément si "on voit le Bouddha", c'est qu'il y a une dualité en soi qui est appelée à être dépassée... D'où la citation, (je pense) "Si tu vois le bouddha, tue le!"
Lin Tsi a écrit:Si tu rencontres le Bouddha, tue le Bouddha!
Si tu rencontres un patriarche, tue le patriarche!
Si tu rencontres un arhat, tue le arhat!
Si tu rencontre père et mère, tue père et mère!
Si tu rencontres des parents, tue les parents!
Alors seulement tu obtiendras la Délivrance.
Sans être limité par les objets matériels.
Alors ce bon vieux Lin Tsi est apparemment un bien beau spécimen de serial-killer Il est clair que cette stance à pour but de choquer. En plus en Chine à l'époque, recommander de s'en prendre à ses parents c'est plutôt couillu comme conseil
En fait il recommande de rejeter la notion même de sacré, car cette notion nous plonge le nez dans la dualité. (comme toute notion d'ailleurs) En s'en prenant à ce qui est considéré comme ce qu'il y a de plus précieux, il cherche à suffisamment ébranler les esprits pour faire réaliser que tout ce que nous idolâtrons nous limite. Même (et surtout) ce qui est soi-disant le plus important. Seule est digne de considération la liberté parfaite de l'être éveillé, liberté qui se situe bien au-dessus de la dignité ou de la considération...
Okasan je ne sais pas pour le karma, c'est un sujet sur lequel je me suis peu penché... Faut dire que dans le Zen le karma... C'est pas qu'on s'en fout mais... Chaque instant est considéré comme occasion d'éveil ou risque d'illusion. Du coup le karma est considéré comme une donnée parmi tant d'autre, l'éveil se situant bien au-delà de l'effet du karma. Enfin c'est une interprétation tout à fait personnelle hein!
Le_Chat elle est bien sympa ton histoire, et c'est vrai que les choses fonctionnent exactement comme ça à un certain niveau. Et nous, bêtement, on réagit de cette façon là le plus souvent... Ca m'as rappelé une autre histoire, sans aucun lien autre que le lien improbable qui a pu se produire dans ma tête, que je vais vous mettre. Je l'aime bien mais vous n'aurez pas d'avis de ma part sur ce conte parce que j'ai énormément de mal à saisir toutes les subtilités qu'il me semble présenter... Mais je sent bien qu'il y a un enseignement très précieux derrière ces mots... (c'est toujours de Riton Brunel!)
L'honorable monsieur Han, mandarin de haut rang, jouissait en sa campagne d'un retraite aimable. Il ne détestait pas la société, et recevait souvent M. Siu, un voisin, de commerce agréable. Ce jour-là, ils devisaient tout deux sous les frais ombrages, prenant le thé, mangeant quelques gâteaux de riz, quand le bruit d'une altercation leur parvint des cuisines. M. Han s'informa. Un moine mendiant voulait être reçu par le maître de maison en personne!
"Il insiste avec impudence... expliqua l'intendant.
- Laissez-le venir!" fit M. Han.
Le moine Zen, vêtu d'une robe usagée et trouée, ne payait pas de mine. M. Han l'interrogea avec bonté...
"Je suis arrivé récemment dans votre petite bourgade, dit le misérable clerc. Je me suis installé dans le temple en ruine, à l'est de la ville. On m'a instruit de votre générosité, et me voici!"
Tout en parlant, le moine loqueteux se servait largement de la nourriture étalée sur la table. Il appréciait les gâteaux de riz, autant les salés que les sucrés. il picorait à son aise dans les bols de porcelaine, croquant ici des graines de potirons, là de tournesol. Il ne dédaignait pas les brioches de viande, il en engloutit trois, parfumées aux grains de sésame et de lotus. Entre deux bouchées, il grappillait des amandes et des fruits secs, et pour faire glisser le tout, il buvait force tasses de thé. Une vingtaine, comptabilisa M. Siu, que l'effronterie du personnage scandalisait.
Le moine pris ainsi le pli de venir régulièrement dans la maison de M. Han. Il arrivait habituellement à l'heure de la collation. Il s'invitait à table, se servait copieusement et buvait à satiété. M. Han le regardait opérer avec un sourire indulgent. M. Siu le supportait de plus en plus mal. Un après-midi, alors que le moine avalait sa douzième tasse de thé et mordait sans vergogne dans un succulent gâteau de riz, M. Siu l'interpella avec un brin d'ironie:
"Saint homme, mon ami M. Han et moi-même sommes flattés de votre constance à partager nos humbles repas, peut-être accepterez-vous de nous recevoir à votre tour?"
Le moine répondit avec calme:
"Venez quand vous le voudrez, mais vous le savez, j'habite des ruines, et j'aurai bien du mal à vous offrir autre chose que des tasses d'eau claire!"
Et il s'esclaffa.
Quand ils arrivèrent devant les anciennes ruines du temple, où le moine avait établi sa demeure, M. Han et M. Siu furent ébahis. On avait réalisé d'importants travaux. Le bâtiment central était entièrement restauré. Ils pénétrèrent dans une salle magnifique, où une immense table couverte d'une nappe brodée les attendait. Des mets à profusion s'étalaient sous leurs yeux émerveillés. Ils prirent place sur des lits. Seize jeunes et beaux garçons, vêtus de robes d'apparat, chaussés de sandales rouges, les servaient avec diligence, attentifs à leurs moindres désirs. On leur offrit, dans des plats de cristal et de jade, des fruits inconnus et délicieux. Leur hôte lui-même, vêtu de brocart et d'or, leur versait, dans des coupes larges d'un pied, un vin parfumé digne des immortels.
Soudain, le moine frappa dans ses mains:
"Que l'on fasse venir les soeurs Cheh!" s'écria-t-il.
Un serviteur s'empressa, et revint bientôt accompagné de deux jeunes filles ravissantes; leurs tailles souples pliaient comme des saules. La plus grande jouait de la flûte, la plus jeune chantait d'une voix délicate et cristalline. Ensuite, elles se mirent à danser. Leurs longues robes flottaient sur le sol, un nuage de parfum enivrant les enveloppait. M. Han et M. Siu sentirent "leur coeur s'élargir et leur âme s'envoler". A ce moment, le moine invita la plus jeune danseuse à le rejoindre sur sa couche, tandis que la plus grande, penchée sur eux, les éventait doucement. M. Han et M. Siu, légèrement ivres, étourdis par le vin merveilleux qu'ils avaient bu, regardaient ce spectacle avec stupeur. Le premier, M. Siu réagit:
"Ce moine est décidément un personnage impudent, éhonté!"
Et il se leva en titubant, mais quand il s'approcha, le moine avait disparu:
"M. Han! appela-t-il, venez! ces jeunes filles sont prêtes..."
Et M. Siu s'allongea avec la plus jeune sur la couche que le moine venait de quitter. M. Han à son tour prit dans ses bras la plus grande, dont la taille pliait comme un saule, et s'étendit à côté d'elle. Alors le ciel s'éclaira. Le songe d'ivresse se dissipa. M. Han et M. Siu serraient entre leurs bras de froides dalles de pierre. Ils étaient couchés au milieu de ruines, de bâtiments abandonnés, et de chambres démolies.
Ainsi a-t-il été rapporté.
Dagda- Messages : 249
Date d'inscription : 16/11/2011
Age : 41
Localisation : Bretagne
Re: La corde d'argent (conte Zen)
j'ai bien apprécié cette dernière histoire !
j'y vois plusieurs "morales " : la générosité de M .Han , la froideur de M .Siu et son hypocrisie , la vanité des biens matériels ...
j'y vois plusieurs "morales " : la générosité de M .Han , la froideur de M .Siu et son hypocrisie , la vanité des biens matériels ...
lola83- Messages : 1204
Date d'inscription : 25/03/2012
Localisation : près de paris
Re: La corde d'argent (conte Zen)
merci d'avoir éclairer ma lanterne, plus haut
quant à ce dernier conte, je pense à l'impermanence des choses, et au fait que tout dans ce monde n'est qu'illusion........... selon la vue bouddhiste bien sûr !!
OKASAN- Messages : 199
Date d'inscription : 11/07/2012
Age : 65
Localisation : Toulouse
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Aujourd'hui je pensais à ce petit conte (toujours raconté par Riton Brunel) bien connu. Et puis je me suis dit que si ça se trouve, y a des personnes sur le forum qui ne le connaisse pas! Il faut alors que je le poste! Donc acte!!
J'en profite pour vous dire que je poste très peu ces temps-ci mais je vous oublie pas pour autant! Bien peu à dire ou à écrire! Y a des périodes comme ça hein!
Bonne (re)lecture!
Un soir d'automne, le brouillard épais masque presque entièrement la rivière Saïtama. Un moine et un jeune novice s'apprêtent à la traverser sur une barque légère. Les flots sont jaunes et tumultueux, un vent violent s'est levé:
"Maître, je sais bien que l'on nous attend au monastère de Rishiko, mais ne serait-il pas plus prudent de remettre note visite à demain? Nous pourrions manger une boulette de riz, et dormir dans la hutte de branchages que j'aperçois là-bas.
- ..."
Son maître gardant le silence, Kasuku se résigne à embarquer, et commence à ramer. On ne voit de l'autre rive qu'une ligne sombre perdue dans le brouillard.
"Maître, la rivière est large et le vent qui souffle par le travers nous empêche d'avancer à notre gré.
- ..."
Une dizaine de minutes s'écoulent, qui semblent une heure à Kazuku. Il rame en silence, le coeur inquiet. Soudain, lâchant les rames, il se dresse, le bras levé:
"Maître, Maître! Regardez cette barque qui émerge du brouillard, elle vient droit sur nous!
- ...
- Maître, elle va nous heurter, nous éventrer, nous allons chavirer. Ohé, du pilote! Oh, oh, du pilote! Si je tenais celui qui gouverne cette embarcation, je lui assénerais un bon coup de bâton qui lui ôterait l'envie de mettre en danger de sains hommes comme nous...
- ...
- Maître, voyez, la barque approche, elle vas nous éperonner de sa proue effilée. J'aperçois maintenant le pilote, ce timonier assassin dort paisiblement!
- ...
- Maître, la barque est tout près! Par Brahma! Que ce pilote criminel soit maudit, que le cycle de ses renaissances s'étende sur un million d'années, qu'il soit chacal, hyène, rat, punaise..."
A l'instant du choc, un remous opportun, ou une manoeuvre habile du maître, écarte le danger, et les deux barques indemnes poursuivent leur chemin.
"Tu as observé l'intérieur de la barque, Kazuku? demande le moine Zen.
- Oui, Maître. La forme que je prenais pour un homme était un sac de grain.
- Dis moi, Kazuku, contre qui t'es-tu emporté?"
J'en profite pour vous dire que je poste très peu ces temps-ci mais je vous oublie pas pour autant! Bien peu à dire ou à écrire! Y a des périodes comme ça hein!
Bonne (re)lecture!
Un soir d'automne, le brouillard épais masque presque entièrement la rivière Saïtama. Un moine et un jeune novice s'apprêtent à la traverser sur une barque légère. Les flots sont jaunes et tumultueux, un vent violent s'est levé:
"Maître, je sais bien que l'on nous attend au monastère de Rishiko, mais ne serait-il pas plus prudent de remettre note visite à demain? Nous pourrions manger une boulette de riz, et dormir dans la hutte de branchages que j'aperçois là-bas.
- ..."
Son maître gardant le silence, Kasuku se résigne à embarquer, et commence à ramer. On ne voit de l'autre rive qu'une ligne sombre perdue dans le brouillard.
"Maître, la rivière est large et le vent qui souffle par le travers nous empêche d'avancer à notre gré.
- ..."
Une dizaine de minutes s'écoulent, qui semblent une heure à Kazuku. Il rame en silence, le coeur inquiet. Soudain, lâchant les rames, il se dresse, le bras levé:
"Maître, Maître! Regardez cette barque qui émerge du brouillard, elle vient droit sur nous!
- ...
- Maître, elle va nous heurter, nous éventrer, nous allons chavirer. Ohé, du pilote! Oh, oh, du pilote! Si je tenais celui qui gouverne cette embarcation, je lui assénerais un bon coup de bâton qui lui ôterait l'envie de mettre en danger de sains hommes comme nous...
- ...
- Maître, voyez, la barque approche, elle vas nous éperonner de sa proue effilée. J'aperçois maintenant le pilote, ce timonier assassin dort paisiblement!
- ...
- Maître, la barque est tout près! Par Brahma! Que ce pilote criminel soit maudit, que le cycle de ses renaissances s'étende sur un million d'années, qu'il soit chacal, hyène, rat, punaise..."
A l'instant du choc, un remous opportun, ou une manoeuvre habile du maître, écarte le danger, et les deux barques indemnes poursuivent leur chemin.
"Tu as observé l'intérieur de la barque, Kazuku? demande le moine Zen.
- Oui, Maître. La forme que je prenais pour un homme était un sac de grain.
- Dis moi, Kazuku, contre qui t'es-tu emporté?"
Dagda- Messages : 249
Date d'inscription : 16/11/2011
Age : 41
Localisation : Bretagne
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Dagda a écrit:
J'en profite pour vous dire que je poste très peu ces temps-ci mais je vous oublie pas pour autant! Bien peu à dire ou à écrire! Y a des périodes comme ça hein!
Merci pour ce conte Dagda, personnellement je ne le connaissais pas
..et puis c'est sympa de ne pas nous "oublier"...( on pense à toi aussi )
alors à la prochaine, quand tu auras fini ton hibernation de marmotte muette !
Kouen :
Kouen- Messages : 497
Date d'inscription : 04/08/2012
Age : 56
Localisation : Paris
Re: La corde d'argent (conte Zen)
merci pour tes contes Dagda !
en effet , il est souvent préconisé dans les enseignements " d'observer la racine de nos colères " ...
vaste chantier ...
en effet , il est souvent préconisé dans les enseignements " d'observer la racine de nos colères " ...
vaste chantier ...
gogo an- Messages : 127
Date d'inscription : 30/07/2012
Age : 65
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Le maître Zen Hakuin habitait une humble masure, non loin de la boutique d'un poissonnier. La fille de cet honorable commerçant était belle. Ses parents découvrirent un jour avec épouvante que leur bachelette, leur demoiselle, la délicieuse Oshaka, était grosse. Malgré les menaces, l'enfermement, les coups, elle ne voulait pas avouer qui était le responsable. A bout de forces, elle finit par dire:
"Le père de l'enfant que j'attends est maître Hakuin."
D'honorables commerçants ne pouvaient envisager de marier leur unique fille à un misérable moine Zen. Ils se turent. Mais quand l'enfant vint au monde, ils l'apportèrent à leur voisin:
"Vous l'avez fait, maintenant occupez-vous-en!"
Hakuin dit seulement:
"Ah, bon!"
Il recueillit l'enfant et s'en occupa.
Une année s'écoula. Oshaka supportait de plus en plus mal cette situation. Elle avoua enfin à ses parents que le véritable père était le fils de l'épicier, qu'elle rencontrait parfois sur les marchés. Le poissonnier et son épouse présentèrent leur excuses au maître Zen, et lui réclamèrent aussitôt l'enfant. Hakuin dit seulement:
"Ah, bon!"
Il rendit l'enfant. Ensuite, il reprit sa vie ordinaire, comme si cet intermède n'avait jamais existé, laissé nul trace, un sourire peut-être, une ride d'humour au coin de ses yeux.
"Le père de l'enfant que j'attends est maître Hakuin."
D'honorables commerçants ne pouvaient envisager de marier leur unique fille à un misérable moine Zen. Ils se turent. Mais quand l'enfant vint au monde, ils l'apportèrent à leur voisin:
"Vous l'avez fait, maintenant occupez-vous-en!"
Hakuin dit seulement:
"Ah, bon!"
Il recueillit l'enfant et s'en occupa.
Une année s'écoula. Oshaka supportait de plus en plus mal cette situation. Elle avoua enfin à ses parents que le véritable père était le fils de l'épicier, qu'elle rencontrait parfois sur les marchés. Le poissonnier et son épouse présentèrent leur excuses au maître Zen, et lui réclamèrent aussitôt l'enfant. Hakuin dit seulement:
"Ah, bon!"
Il rendit l'enfant. Ensuite, il reprit sa vie ordinaire, comme si cet intermède n'avait jamais existé, laissé nul trace, un sourire peut-être, une ride d'humour au coin de ses yeux.
Dagda- Messages : 249
Date d'inscription : 16/11/2011
Age : 41
Localisation : Bretagne
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Super ces contes zen ... je ne connaissais que celui du guerrier et des portes de l'enfer et du paradis (le 3ème je crois) ...
Celui de L'honorable monsieur Han, de son voisin M. Siu et du moine mendiant m'a beaucoup parlé ... J'y vois d'un côté les biens matériels qui peuvent apporter quelques satisfactions et de l'autre les plaisirs de l'âme qui sont encore plus grands ... Ainsi en arrivant chez le vieux moine, ils vécurent un moment de grâce qui leur "râvi l'âme" ... et ce fut grandiose ... C'est un peu les moments d'extases des mystiques ...
Quand au dernier, il est vraiment beau et montre le détachement des évènements qui de toute façon sont tous impermanents...
merci
Celui de L'honorable monsieur Han, de son voisin M. Siu et du moine mendiant m'a beaucoup parlé ... J'y vois d'un côté les biens matériels qui peuvent apporter quelques satisfactions et de l'autre les plaisirs de l'âme qui sont encore plus grands ... Ainsi en arrivant chez le vieux moine, ils vécurent un moment de grâce qui leur "râvi l'âme" ... et ce fut grandiose ... C'est un peu les moments d'extases des mystiques ...
Quand au dernier, il est vraiment beau et montre le détachement des évènements qui de toute façon sont tous impermanents...
merci
Re: La corde d'argent (conte Zen)
Oui, merci dagda
air- Modérateur
- Messages : 2585
Date d'inscription : 04/11/2011
Age : 54
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